mardi 15 décembre 2015

Yeux de hibou

Cette semaine, une collègue est venu à l'école pour nous présenter son bébé. Bien entendu, tout le monde a poussé de hauts cris et s'est extasié à la vue de ce bébé si petit. Même moi (car je sais me tenir en société). Alors qu'intérieurement je bouillonnais... j'étais jalouse...

Jalouse, parce qu'elle a eu ses deux enfants de manière tout à fait naturelle, et parce que cet enchaînement congé mat - congé parental - grandes vacances semble trop parfait pour ne pas avoir été calculé... 
Jalouse de son accouchement qu'elle nous a raconté, un accouchement normal sans catastrophe à l'intérieur.
Jalouse parce que sa fille n'a cessé de dormir, paisible, pendant l'heure qu'elle a passé avec nous.
Jalouse de son teint rosé, de son air reposé, de sa présence même parmi nous!

(Je n'en ai pas beaucoup parlé ici parce que je n'assume pas trop de déballer tout ça, alors que j'ai l'immense chance d'avoir ma fille. Mais force est de constater que je n'ai toujours pas digéré l'accouchement et les premiers mois difficiles de Pâquerette. Alors je me dis qu'en parler me ferait peut-être du bien. Même si je suis devenue maman, j'ai toujours besoin d'écrire, de coucher mes émotions sur mon blog. Comme j'ai de moins en moins de lectrices, je me permets donc, en espérant ne blesser personne...)

Quand Pâquerette était toute petite, l'idée d'aller rendre visite à mes collègues ne m’aurait même pas effleuré l'esprit. Ça aurait de toute façon été impossible car elle tétait presque en continu. Jamais elle n'aurait dormi de la sorte dans sa poussette, puisque son unique matelas, c'était moi! Si jamais j'essayais de la poser dans sa nacelle, juste à côté, elle se réveillait immédiatement et pleurait à chaudes larmes, puis rapidement, hurlait à la mort. J'ai donc vécu avec un bébé greffé à moi (et je remercie mille fois l'inventeur de l'écharpe de portage). Au début, c'était jour et nuit... je venais d'accoucher, j'étais morte de fatigue. Et puis, petit à petit, Pâquerette s'est mise à dormir seule la nuit, à côté de nous dans sa nacelle. Mais toujours pas la journée. Ses grands yeux de hibou étaient ouverts en permanence. Tout le monde s'extasiait "Qu'elle est éveillée!" C'était surtout un bébé très inquiet, qui avait énormément besoin de contact. Besoin que j'essayais de combler au maximum. Je ne voulais qu'une chose, la rassurer, lui transmettre tout mon amour. Et réussir mon allaitement, aussi, ça me tenait tellement à coeur. J'y mettais toutes mes forces.

Ça me semblait normal de ne vivre que pour elle. Mais moi aussi j'avais des besoins, pour être en forme et être une bonne maman. Me nourrir. Me laver. Dormir. C'était quasiment impossible avec le modèle de bébé que j'avais. Et c'est un peu dur de tenir sur la longueur quand on ne mange que ce qui nous tombe sous la main, et qu'on ne dort que quelques heures dans la nuit... C'est simple : j'étais une loque humaine, et j'étais loin d'avoir le teint rosé de ma collègue... Vous connaissez l'adage : "Il faut dormir en même temps que son bébé." Ah, ah, ah. Encore faut-il que celui-ci dorme! La journée, je passais des heures à bercer Pâquerette encore et encore, à arpenter la maison, puis à la déposer avec mille précautions dans son lit. Pour finalement obtenir qu'elle dorme 20 minutes, parfois une demi-heure à la suite. Le temps d'aller faire pipi, de me laver, de manger un truc, elle était déjà réveillée. Je ne vois pas trop quand j'aurais pu dormir...

Et j'avoue que, malgré les années d'attente, malgré toutes mes lectures, je n'étais pas préparée à ça. Je savais qu'on allait passer de mauvaises nuits pendant quelques mois, mais je croyais naïvement que tous les bébés dormaient en journée. Si on en croit les bouquins, "les nourrissons dorment entre 16 et 20h par jour". Et bien pas tous! Je crois que le conseil qui me faisait le plus rire (jaune) sur l'allaitement c'était "Proposez le sein à votre bébé dès qu'il est éveillé". Certes. Mais quand le bébé en question est toujours réveillé, on fait comment? Et bien c'est simple : j'allaitais presque 24h sur 24... il n'y avait que ça qui la calmait. Mon chéri non plus n'était pas du tout préparé à ça, et, la fatigue aidant, on se disputait tout le temps. Il voulait la laisser pleurer (là-dessus, je n'ai jamais cédé) et surtout, que j'arrête d'allaiter. Il a finalement obtenu gain de cause. Morte de fatigue, je n'avais plus la force, et je suis rapidement passée au mixte. Ça restera un grand regret...

Vers 3 mois, le biberon aidant, Pâquerette a pris un petit rythme et s'est un peu apaisée. Elle ne dormait pas plus la journée (2 à 3 demi-heures après des heures de bercement) mais, alléluia, elle faisait ses nuits. Ça commençait à aller mieux, on sortait la tête de l'eau. 

Et là le ciel nous est tombé sur la tête. Le RGO et l'angiome nécrosé ont eu la chouette idée de se pointer en même temps. Et notre bébé qui ne dormait pas de la journée s'est mis à ne plus dormir de la nuit non plus. A hurler de douleur des heures durant, malgré les bercements, malgré ma présence constante à ses côtés. C'était terrible de la voir comme ça et de se sentir si impuissante. Un bébé, ça ne parle pas, malheureusement. J'en ai passé des nuits à pleurer avec elle "Maman est là. Maman fait de son mieux mon poussin. Dis-moi ce qui ne va pas." Avant que les médecins ne trouvent le double problème, ne nous donnent un traitement efficace, et que celui-ci fonctionne. Nous avons vécu l'enfer, le temps d'un été.

Alors j'ai recommencé à faire les 100 pas dans la chambre, et à la bercer jusqu'à épuisement, comme quand elle était nourrisson. Sauf que ce n'était plus un nouveau-né, mais bien un bébé potelé de 7 kilos. Et moi j'étais énormément affaiblie de ces mois sans sommeil. Plusieurs fois, je me suis assise en catastrophe, à bout de forces, de peur de tomber avec elle. Quand mes bras tétanisait, quand mon dos me faisait trop souffrir, j'allongeais Pâquerette dans le clic-clac, me couchais à côté, une main sur elle, et je chantais. Encore et encore. Jusqu'à ne plus en pouvoir.

On me disait de passer le relais. C'était pas faute d'essayer. Mon chéri a tout tenté. Mais la plupart du temps, Pâquerette hurlait dans les bras de son père, ne voulant que les miens. C'était très difficile à vivre pour lui, et on s'engueulait de plus belle. Quand on n'en pouvait plus des cris, on prenait l'écharpe, la poussette, la voiture... on sortait dans le patelin. Elle finissait par s'endormir mais ne partait jamais pour sa nuit. Une demi-heure après, il fallait tout recommencer. La canicule n'arrangeant rien, je pouvais mettre 2h à 3h chaque soir pour l'endormir, pendant que mon chéri m'attendait devant sa salade de riz...

Une nuit, j'ai craqué, je l'ai reposée dans son lit, je l'ai laissée hurler, et je me suis éloignée le plus possible. De peur de lui crier dessus. De lui dire des horreurs. Et je suis allée pleurer dans la cuisine. D'épuisement. D'impuissance. Je me sentais si seule. Mon bébé hurlait dans son lit, mon chéri dormait dans le sien. Cette nuit-là j'ai compris que certains parents, à bout, puissent secouer leur enfant.

Et puis, un beau jour, les médicaments ont commencé à fonctionner. Peu à peu, mon bébé a retrouvé le sourire. Et s'est remis à dormir la nuit. On n'avait plus que des réveils-tétines, et maintenant plus de réveils du tout (sauf en cas de maladie ou de poussée dentaire bien sûr). Depuis la rentrée de septembre, Pâquerette dort 12h par nuit, c'était inespéré!

Et elle s'endort seule depuis environ 2 mois. Ça a été un travail de longue haleine. J'ai mis un place un rituel du coucher auquel je ne déroge jamais. Couche, lecture, câlin, chanson, je fais toujours tout dans le même ordre. Au début, je l'endormais encore dans les bras, puis, dans son lit avec une main sur elle, puis sans main, puis un jour je n'ai plus attendue qu'elle soit endormie pour quitter la chambre, et ça a marché! Je n'en revenais pas. Du coup, on a retrouvé des soirées à deux, et ça, ça fait du bien au couple.

Aujourd'hui ma fille ne souffre plus. C'est une petite fille souriante et heureuse, et j'apprécie chaque instant passé avec elle. Mais je n'oublie pas. Le terrible accouchement, la nuit où ils sont venus me la prendre pour l'emmener en néonat, les fils partout, la peur de la perdre, le retour à la maison et les 6 mois qui ont suivis et que je viens de vous raconter. Et ça remonte dès qu'on me parle d'accouchement ou de nouveau-né...

J'aurais tellement aimé que les premiers mois de ma fille ne soient que douceur et sérénité, ça a plutôt été douleur et inquiétudes. Et surtout, ça a été tellement violent, pour nous trois. Mais aujourd'hui, tout cela est derrière nous, on savoure d'autant plus notre nouvelle vie à trois.

Aujourd'hui, c'est vraiment que du bonheur.

10 commentaires:

  1. Tes premiers pas de maman n'ont pas été simples. J'ai 2 filles et je n'ai pas eu à vivre tout cela. Certes les débuts étaient chaotiques et ma fille de 8 mois se réveille encore 4 ou 5 fois chaque nuit. Mais j'imagine tes nuits sans sommeil, tes journées sans répit. Tu as vraiment assuré à 100%. Pâquerette a bien de la chance. C'est super de lire que tout se passe bien maintenant. Profitez à fond de ce bonheur amplement mérité.
    Kahina

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    1. Merci Kahina.
      Effectivement, on a cumulé pas mal de soucis... heureusement que maintenant tout va bien.

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  2. que d'émotions à la lecture de ton article... Il m'a fait couler les larmes. En effet ce fut très dur pour vous 3 ... Je suis contente de lire que maintenant tout ceci est derrière vous, et aussi que vous ayez tenu bon.
    J'ose me plaindre mais à comparer c'est tellement rien mes petits soucis de début de maman...

    Pleins de bisous

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    1. On n'est pas là pour faire une échelle des problèmes hein. ;) Tu as tout à fait le droit de te plaindre. Et d'ailleurs, je ne crois pas que tu le fasses. Tu racontes juste tes inquiétudes de maman.
      <3

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  3. Et bien, que d'énergie dépensée ces premiers mois... Je ne pensais pas que ça avait été si dur... Je me doutais, à lire tes articles, que l'angiome de ta fille avait dû te procurer beaucoup d'angoisses, mais je ne pensais pas que ces premiers mois avaient été aussi terribles... C'est vrai, quand on devient maman, on est remplie d'une énergie insoupçonnée, on enchaîne les courtes nuits et les journées chargées sans se poser de questions... Mais sur la durée, ça abîme le corps et l'esprit. Moi non plus, mon petit garçon ne dort pas beaucoup la journée, et je sais ce que c'est d'essayer de s'endormir vite vite pour une micro sieste (comment s'endormir sur commande, je voudrais qu'on me donne la recette !!) et d'entendre son bébé râler au moment où tu réussis tout juste à fermer les paupières... L'énervement monte, la frustration, on en veut au monde entier et on se sent tellement seule... Je suis contente de voir que ta petite fille dort bien maintenant (est-ce qu'elle fait des plus grandes siestes ??)et que tu souffles enfin... La seule chose que je peux te dire pour essayer de te rassurer, c'est que si tu as la chance d'accueillir un deuxième enfant, il y a de fortes chances pour qu'il soit différent de ton aînée, et tu auras l'expérience de cette première maternité pour te préparer psychologiquement à ce qui peut éventuellement t'attendre... Bref, ce sera certainement plus facile... Bravo à toi d'avoir tenu bon, et merci de te confier avec simplicité sur des états d'âme que certaines mamans n'osent pas livrer...

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    1. Merci pour ton long commentaire.
      Je t'avoue que mon chéri est du coup TRES échaudé pour un 2ème! Et mon argument est le même que le tien. Ça ne pourra qu'aller mieux, ou du moins ça ne pourra pas être pire!

      Les siestes ont commencé à se stabiliser vers 7 mois, quand elle est allée chez la nounou (et c'est levée plus tôt le matin).
      Et depuis qu'elle se dépense (4 pattes) ses siestes ce sont allongées, ça fait du bien!
      Je ne sais pas quel âge à ton loulou, mais il faut garder espoir, ça finit par venir!

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    2. Ouf ça me rassure un peu !! Mon ouistiti va sur ses quatre mois, la nounou commence à le garder début janvier... J'appréhende un peu la reprise du travail (je suis maîtresse comme toi) mais je suis aussi contente d'y retourner... Encore bravo à toi pour tout ton courage, très bonnes fêtes de fin d'année, savourez bien ce GRAND bonheur d'avoir "un petit jésus" rien qu'à vous dans la crèche ! :)

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  4. Je n'ai pas vécu la même chose que toi, mais la période nourrisson est je pense plus ou moins chaotique pour tous parents.... les problèmes de santé viennent en rajouter...mais la désillusion entre ce qu'on nous "vend" et ce qu'on vit est telle qu'on n'a pas le choix que de culpabiliser et d'envier les autres... alors qu'au final les débuts sont rarement faciles..... pour tout le monde ; il faut devenir parents, apprendre à se connaître, se remettre en question en tant que couple et faire face aux tracas du quotidien...nuits blanches, fatigue, coliques, RGO, jaunisse,...... Je suis à 39 SA pour bb2... j'ai hâte de tenir mon bébé dans mes bras et j'ai aussi terriblement peur... de la fatigue, de la gestion de deux enfants en bas âge et rapprochés... des coliques qui ont été terribles pour number one.... des rendez-vous au kiné pour son pb de pieds les deux premiers mois de sa vie... bref on panse les douleurs et puis le temps fait que l'on n'oublie certes pas...mais que parfois l'envie d'un second revient tout de même ! joyeux noël !

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    1. Oui bien sûr, les 1ers mois sont de toute façon un immense chamboulement... mais on en parle peu, je suppose que c'est parce qu'on oublie vite!
      Après, pour l'avoir vu de mes yeux vus, il y a aussi des bébés "plus faciles" que d'autre.

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  5. Je suis d'accord avec Cerise... les débuts ne sont faciles pr personne, et ceux qui prétendent l'inverse , ou montre une image idyllique, doivent être sacrément bons acteurs lol...
    Je suis s^^ure que tu as fait de tn mieux, avec bienveillance et sans laisser ta poulette seule face à sa détresse de bébé... et même si ces épreuves l'auront forcément marquée, ta présence l'a aussi certainement rassurée et fait comprendre qu'elle peut compter sur toi :-)
    Bises

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