Le vautour

Depuis 2 ans déjà, je suis en poste fractionné : je décharge des directeurs ou complète des 75%. Quand on me demande ce que j'ai comme classe cette année, c'est toujours un peu compliqué. J'ai des CE2-CM1-CM2 le lundi, des CP le mardi, des CM1-CM2 le jeudi et des TPS-PS-MS le vendredi. C'est une organisation à trouver mais je vous rassure, on s'en sort très bien! Le plus difficile reste encore de s'intégrer à une équipe en étant dans l'école seulement un jour par semaine. Et plus les collègues se connaissent et travaillent ensemble depuis des années, plus c'est difficile de trouver sa place. 

Cette année, j'ai beaucoup de mal avec mon école du lundi, je ne m'y sens pas bien. Les deux collègues et l'ATSEM se connaissent depuis 10 ans, et à table, elles ne parlent que de gens que je ne connais pas, pas évident de s'insérer dans la conversation. Elles mêmes ne me posent aucune question, ni sur ma vie, ni sur mes autres classes par exemple. J'ai essayé de m'intégrer malgré tout, j'ai apporté des gâteaux, je me suis intéressée à leurs conversations. Mais rien à faire, elles ne me calculent pas. Du tout. Pour elles, je suis un peu comme un meuble. Alors j'ai laissé tombé, et maintenant nos conversations se limitent à "Bonjour", "Au revoir" et "Tu peux me redonner la date du spectacle de l'école?" et basta...

Et puis, un lundi, j'ai dû appeler l'école pour prévenir que je ne serai pas là. La collègue a tellement insisté pour savoir ce que j'avais que je lui ai avoué que je faisais une IAC. Je pensais lui clouer le bec, que nenni! Dès le lundi suivant, elle m'a bombardée de questions indiscrètes, elle voulait tout savoir de nos problèmes d'infertilité. Moi qui en parle facilement d'habitude, ça m'a complètement bloquée, et j'ai dit le minimum. Non mais pour qui elle se prend! Jamais elle ne me calcule d'habitude et là soudain elle s’intéresse à moi. Bah oui, les malheurs des autres, ça fait toujours des potins à colporter. Vautour!

Je pensais m'en être tirée, mais c'était sans compter sur sa mémoire d'éléphant. Après ne m'avoir guère adressé la parole la semaine dernière, c'est sans préambule qu'elle a attaqué direct lundi matin alors que je n'avais même pas encore retiré mon manteau : "Alors, cette prise de sang, ça a donné quoi?" Quand j'ai dit que c'était négatif, elle n'a même pas fait semblant d'être peinée, la garce! "Bah, de toute façon, tu peux en faire d'autre. Ils peuvent t'en faire faire combien?" J'ai dit 6. "Oh ça va alors." Et le coup de grâce :
"De toute façon, t'as le temps, t'es pas rendue à la ménopause!"

Evidemment, elle ne pouvait pas savoir que j'étais en insuffisance ovarienne et que si, pour moi le temps était compté. Mais j'ai trouvé la remarque vraiment très déplacée, et surtout, j'ai eu réellement l'impression que mon malheur ne lui faisait ni chaud ni froid. Limite, ça lui faisait plaisir. Une fois son venin lancé, elle ne m'a plus adressé la parole de la journée, et c'est tant mieux. J'ai eu la confirmation qu'elle venait me parler, pas par gentillesse mais bien par voyeurisme et par plaisir de voir les autres dans la mouise. 

Je ne m'en suis pas encore remise. Les gens qui disent des phrases qui tuent par maladresse, ou pour être gentils, c'est une chose. Mais l’intérêt feint de personnes malintentionnées, ça me laisse sans voix.

Vautour!!